Carnet de bord "Quand ça commence..." / Camille Duvelleroy & Caroline Melon
Histoire d'une création et d'une collaboration artistique
A la demande de l’iddac, après leur spectacle "Quand ça commence" coproduit par l’agence, Camille Duvelleroy, réalisatrice, et Caroline Melon (De chair et D’os), metteuse en scène, donnent à lire un carnet de bord sincère de l’aventure de leur collaboration, à la fois journal de fabrication et récit de relations.
Retrouvez ici le récit du processus artistique, de résidences en périodes d’écriture, de prototypes en réunions logistiques. Ce carnet de bord raconte les étapes, les étonnements, les apprentissages, les chassés croisés, les questions, les obstacles, les incompréhensions et les épiphanies. C’est l’histoire d’une collaboration et d’une amitié, de la douceur initiale au crash final.
Carnet de bord "Quand ça commence, aventure solitaire dans un déménagement choral" de Camille Duvelleroy et Caroline Melon, publication iddac, 2023.
Ouvrage disponible au Centre de ressources de l’iddac
En savoir un peu plus :
« En 2022, elles ont présenté « Quand ça commence, aventure solitaire dans un déménagement choral », un spectacle qui se traverse, public solitaire à l’intérieur d’un lieu, de pièce en pièce, dans l’intimité de femmes ayant vécu là. L’iddac, poursuivant sa mission de documentation sur la création artistique, leur a proposé de produire une trace de l’expérience de ses trois ans de travail. Le prologue du livre plante le décor : « Ce carnet de bord raconte les étapes, les étonnements, les apprentissages des chassés croisés d’un monde à l’autre. C’est aussi l’histoire d’une collaboration et d’une amitié, de la douceur de leur genèse jusqu’au crash final. » Et cette honnêteté, entre elles et vis-à-vis des lecteurs. et lectrices, participe sans aucun doute à l’intérêt qu’on prend à (re)faire le chemin avec elles.
Au début, l’amitié naissante se mêle à une fascination professionnelle réciproque du monde artistique de l’une et l’autre : l’audiovisuel et le spectacle vivant. On assiste à l’élaboration complexe d’un premier spectacle, mélange de deux fantasmes. Puis, la table rase. Recommencer. « On pourrait faire un livre rien qu’avec les idées abandonnées… Il en reste toujours quelque chose ; d’invisible pour les spectateur·ice·s, d’intuitif pour nous : un magma fertile ». Voici un exemple de réflexion, et qui donne l’impression de partager à la fois un work in progress et un retour sur les événements. C’est tout un processus de travail et même des outils qu’elles partagent, avec les doutes et les émerveillements, comme en direct, puisqu’elles continuent de commenter par des ajouts dans la marge. L’immersion dans la pensée de ces deux femmes est aussi une immersion dans deux méthodes de travail, qui se nourrissent et se confrontent.
Au fil des mois, on lit les cheminements liés à ce qu’elles veulent raconter et comment ; s’ajoutent les questions de forme, spectacle, réalité virtuelle, film, installation ? Puis, d’autres rapports se mettent en place, liés aux écarts de métiers, de rythmes et même de rémunérations, à la place des financeurs, etc. « On dissèque les modalités de fabrique » dit Caroline Melon. Le livre se décline sur plusieurs niveaux de lecture. Les parties en fragments sont titrées de verbes à l’infinitif, décrivant à la fois des actions et des états : nidifier inventorier fertiliser morceler… Certains moments sont drôles, comme l’accessoiriste qui ajoute miettes à la liste des objets indispensables.
Et vient ce qui les déstabilise, l’une et l’autre… Camille, par exemple, affirme son besoin de flou, quand elle se heurte au planning un an à l’avance des temps de résidence, une certaine rigidité du spectacle vivant dans sa construction de projet. « Comme si j’allais y perdre ma spontanéité, l’adrénaline de l’échéance, ma liberté. Une visibilité à 6 mois suffit à me rassurer. J’aime bien ce flou. J’ai besoin d’avancer, d’explorer, de prototyper, de me tromper. Je ne supporte pas de faire deux fois la même chose. C’est pas par hasard si j’évolue dans le numérique où les interfaces, les technologies, les usages bougent en permanence. » Caroline sédimente. Elle aime creuser, attendre, observer, écouter. Elle disait toujours “on verra ça plus tard”. Moi, je voulais faire tout de suite. » Caroline, elle, découvre les castings, la docilité de l’acteur, la séduction. Pendant le tournage, elle s’ennuie un peu, loin du vivant qu’elle affectionne. Camille découvre le travail enfermé au plateau. Caroline lui explique l’intérêt de « laisser le monde à la porte pour travailler ».
Au milieu de cette recherche, qui les épuise ou les enchante, on ressent avec elles l’épiphanie du moment où elles savent. Les morceaux s’agencent, elles ont jeté ce qui n’allait pas. La maison devient un personnage, la narration se fera par les objets, la fonction de la vigie pendant la représentation, la jauge du spectateur l’un après l’autre… Sensibles à « ce qui attisait politiquement, sociétalement et intimement leurs désirs » dès le début de la rencontre, il n’y a ni tricherie ni posture entre elles, avec une fragilité qui va jusqu’à la rupture. Pas toujours d’accord sur l’écriture. Pourtant la rédaction de ce carnet les relie à nouveau. Et avec intelligence, elles se relisent et se ré-accordent. »
Sophie Poirier, article extrait du magazine iddac n°7, printemps – été 2023